Les Marquises, l’archipel du bout du monde

Le triangle Polynésien

Suite à notre passage en Nouvelle Zélande, notre voyage nous porta sur les traces du peuple Māori, à plusieurs milliers de kilomètres à l’est, au cœur du triange polynésien. L’histoire de ces hommes de la mer est fascinante! Arrivés d’Indonésie il y a plus de 50,000 ans, ces colons de l’océan sont parti à l’aventure, passant d’île en île à la conquête de l’océan Pacifique. Dans les années 1000 avant JC, ils élurent d’abord domicile sur les îles de Samoa et Tonga. Il faudra attendre près de 1300 ans avant que leur véritable odyssée commence. Aux alentours des années 700 après JC, ces marins ont remonté des milliers de kilomètres contre vents et courants sur leurs embarcations de bois, guidés par les étoiles, les baleines et les oiseaux migrateurs. Leur maitrise de la navigation et de l’orientation en haute mer passionnent encore aujourd’hui historiens et anthropologues. C’est durant cette époque que les Marquises connurent leur âge d’or. Ce groupement d’îles joua un rôle clé dans le rayonnement de ce peuple sur la surface de l’océan. Après une forte croissance démographique, cet archipel servit de tremplin pour continuer la quête de leurs ancêtres: la colonisation des îles du Pacifique. Près de deux siècles plus tard, les premiers hommes débarquaient sur l’archipel d’Hawaii au nord des Marquises et 4000 km au sud-est, sur l’île de Rapa Nui, plus connue sous le nom d’Ile de Pâques. Il fallu attendre encore plus de trois siècles avant que les premiers hommes posent le pied en Nouvelle Zélande. Dès la découverte de cette île-continent, le régime de ces hommes habitués aux poissons changea pour refléter la profusion nouvelle en protéines animales. Phoques, otaries et moas (une espèce d’autruche géante aujourd’hui disparue) modifièrent radicalement l’alimentation de ce peuple des mers. Ces changements expliqueraient l’explosion démographique qui suivi la découverte de la Nouvelle Zélande. Encore aujourd’hui, le pays des kiwis bénéficie d’une image d’Eldorado dans tout le Pacifique. Ainsi se définit le triangle Polynésien, une zone maritime colossale qui s’étend d’Hawaii à l’Ile de Pâques à la Nouvelle Zélande, avec en son cœur les centaines d’îles, lagons et atolls de Polynésie. Ces peuples cousins partageant un patrimoine génétique, une langue et une culture aux racines communes.

triangle polynesie.pngLes Marquises, la terre des hommes

Pour trouver cet archipel, c’est assez simple : 1. prenez une carte de l’océan Pacifique 2. mettez votre doigt en plein milieu de l’eau, là ou il n’y a absolument rien. Vous ne devez pas être loin de ce groupement d’îles perdues. Situé à 5000 km à l’ouest du Mexique, à 8000km à l’est de la Papouasie, à 4000km au sud d’Hawaii et à 2500km au nord de Tahiti : pas de doute, les Marquises portent bien leur surnom d’archipel du bout du monde! Pour s’y rendre, il faut naviguer pendant plusieurs jours ou bien voler plus de 3 heures. En plein vol, alors que l’eau s’étend dans toutes les directions à perte de vue, le capitaine nous invite à regarder par le hublot. Nous sommes en train de survoler des atolls de l’archipel des Tuamotu. Tel des lacs suspendus au milieu de l’océan, les atolls sont d’anciens lagons dont les îles ont disparues sous les eaux. Seuls restent les récifs coralliens, ces fines bandes de terre qui séparent le lagon de l’océan. Certains de ces atolls font plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. Depuis le ciel, les dégradés de bleus offrent un spectacle surnaturel avant de s’évanouir comme un mirage derrière les nuages. Il faudra encore attendre près de deux heures de vol avant de voir apparaitre les Marquises à l’horizon. Les îles volcaniques aux reliefs abrupts émergent des mers agitées du Pacifique. Les montagnes verdoyantes aux falaises noires surgissent des eaux sombres grouillantes de requins.

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À la sortie de l’avion, nous réalisons que nous venons d’arriver dans un endroit unique dont la beauté et l’authenticité seront difficiles à décrire. Le vent humide et chaud porte jusqu’à nos narines les odeurs sauvages de la jungle inexplorée. Dès le premier contact avec les marquisiens, nous comprenons que sous leurs airs d’hommes fiers et forts aux tatouages intimidants se cachent de grands cœurs. Des danses guerrières aux pratiques cannibales, le marquisien a toujours su inspirer la crainte. C’est d’ailleurs ici que les premiers tatouages furent découverts par les navigateurs européens. Afin d’effrayer leurs ennemis, les guerriers scarifiaient leurs peaux de symboles contant l’histoire de leur vie. La danse marquisienne est une autre tradition qui impose le respect. Ces démonstrations de force se sont transmises et répandues au fil des siècles. Le Haka des All Blacks reste aujourd’hui l’exemple le plus célèbre de cet héritage culturel.

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Aux Marquises, ce n’est pas en touriste mais en amis que l’on vous reçoit. Durant notre séjour, nous n’avons cessé d’être émus et touchés par la gentillesse et la générosité des gens d’ici. Les Marquises restent encore bien loin des sentiers battus du tourisme de masse. Les deux îles les plus habitées, Nuku Hiva et Hiva Oa, se partagent moins de 6000 habitants et quelques dizaines de visiteurs.

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Lorsque l’on saisi le degré d’isolement des Marquises et la faible population qui y vit, il est difficile d’imaginer que plusieurs dizaines de milliers de personnes peuplaient chacune de ces îles il y a quelques siècles. Les vallées enclavées abritent encore des esprits et des légendes de ces époques disparues. Les polynésiens appellent cela le mana. Ce terme d’importance signifie le pouvoir sacré détenu par certains (chefs, prêtres, guérisseurs…). Il désigne aussi cette énergie inexplicable qui s’émane des sites sacrés, pour la plupart encore ensevelis dans la jungle. Les gens qui se rendent jusqu’aux Marquises s’entendent pour dire que des forces mystiques peuplent ces lieux. Le mana est parfois tellement fort qu’il en deviendrait palpable. De notre voyage, aucun autre lieu de culte ne créa une telle atmosphère: sacrée, mystérieuse, magique… Les gardiens de ces lieux s’appellent Tiki. Dans le monde polynésien, les Tiki sont des statues d’hommes-dieux. Dressés entre les lianes et les hautes herbes, ils posent leurs regards sur les visiteurs. Les statues de Tiki se comptent par centaines, réparties sur les lieux de cultes appelés marae. Lorsque l’on se déplace dans les marae, aucun panneau ne nous explique où ne pas poser les pieds, et pourtant on sait! Certaines plateformes de pierres étaient dédiées aux sacrifices humains. Ces lieux sont interdits, ce qui se traduit par le mot tapu en polynésien. Cette notion d’interdit sacrée est tellement importante dans la culture que le mot tapu a donné tabou en français, ou encore taboo en anglais.

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Bien que quelques uns de ces bijoux archéologiques soient accessibles aux touristes, la majorité reste jalousement gardée par les locaux, enfouie dans des grottes ou au fond des vallées dans les profondeurs de la jungle marquisienne. D’après les croyances locales, déplacer un Tiki porterait malheur. Au début du siècle, deux Tiki ont été transportés jusqu’au musée de Papeete à Tahiti. Tous les hommes ayant participé à l’opération seraient morts par la suite, en faisant une énigme comparable au mystère de la tombe de Toutankhamon. Les Marquises font partie de ces endroits du monde dont la richesse archéologique est grandement sous-estimée. Le nombre de touristes ne suffisant pas à justifier les fonds nécessaires, des dizaines de sites renferment des mystères encore inconnus du public.

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Une autre caractéristique des marae est l’omniprésence de banians. Ces arbres, dont les racines poussent vers le ciel, forment de sublimes sculptures végétales. Considérés sacrés, les banians peuvent vivre pendant des siècles et atteindre des tailles colossales. Les rituels anciens  voulaient que les cranes des défunts soient placés au pied de  ces arbres. Au fils des années, le tronc avalait peu à peu les ossements jusqu’à les intégrer définitivement, englouti par le bois et la sève. Un soir, après un souper chez notre hôte Yvonne, mairesse et doyenne du village d’Hatieu à Nuku Hiva, celle-ci nous raconta une histoire à glacer le sang. Voilà quelques années, le feu de camp d’un chasseur se propagea aux banians voisins. Le lendemain, plusieurs dizaines de crânes furent retrouvés dans les cendres d’arbres calcinés. Qu’arriva-t-il au pauvre chasseur?  Mamie Yvonne refusa de nous dire…

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En plus de sa richesse culturelle, l’archipel des Marquises offre une beauté naturelle saisissante. Les multiples éruptions volcaniques ont sculpté ces montagnes, maintenant recouvertes d’un manteau de végétation tropicale. Contrairement aux autres îles de Polynésie, les Marquises n’ont ni lagon ni récif corallien pour se protéger de l’assaut incessant des vagues et du vent.

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Les côtes escarpées et la qualité des routes rendent les déplacements difficiles. Les voies sont en fait des pistes sinueuses à flan de montagnes offrant des sensations alternant entre frisson et émerveillement.

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Cette région du Pacifique est caractérisée par de forts courants marins et des eaux très riches en sédiments et en planctons. Ces deux facteurs ajoutés à l’isolement de l’archipel en font un des endroits du monde remarquable  pour sa biodiversité et son taux d’endémicité.

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En plus de la beauté et de l’authenticité incroyable de ces îles, l’identité marquisienne est unique et fascinante. Souvent enviée et bafouée par le reste de la Polynésie, cette culture a survécu au fil des âges. Après le génocide humain et culturel qui suivi l’arrivée des occidentaux, c’est Tahiti qui, en chef lieu de la Polynésie, tenta d’asseoir son autorité sur ce peuple d’insoumis. Malgré tout, les Marquises connaissent aujourd’hui une renaissance culturelle très forte. Portée par la fierté d’une jeunesse attachée à ses racines, sa langue, ses danses, ses tatouages et son artisanat, le rayonnement de l’identité marquisienne ne semble pas pouvoir être réprimé.

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L’énergie mystique, le caractère unique et la beauté naturelle de cet endroit ont inspiré de nombreux voyageurs et artistes du monde entier. C’est d’ailleurs ici, aux Marquises, l’archipel du bout du monde, à Hiva Oa, sur la terre des hommes, dans le modeste cimetière du Calvaire surplombant la baie d’Atuona que Paul Gauguin et Jacques Brel sont venus trouver le repos éternel.

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4 thoughts on “Les Marquises, l’archipel du bout du monde

  1. Samoa- “Arrivés d’Indonésie il y a plus de 50,000 ans”.Je pense que tu veut dire 5,000 ans! Excellent reportage!

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