Retranscrire par écrit les ressentis d’un voyage au Camdogde n’est pas mince affaire. Notre séjour nous conduisît jusqu’à la cité d’Angkor, berceau de la civilisation Khmer qui, à son heure de gloire, regnât sur un territoire s’étendant de la Birmanie au Vietnam et de la Chine à la Malaysie. Le site d’Angkor regroupe plusieurs centaines de temples dont certains ne sont plus qu’un tas de pierres au milieu des rizières tandis que d’autres imposent toujours autant le respect et l’admiration de millions de touristes. Le plus connu d’entre eux est Angkor Wat car il est considéré comme le plus grand monument religieux du monde.
À son âge d’or, cette mégacité regroupait près d’un million d’habitants, en faisant la plus grande ville de l’Histoire pré-industrielle. Chaque roi y fît construire un nouveau temple, symbolisant la grandeur et le prestige de leur reigne. Les styles architecturaux se croisent et se confondent, mais chaque monument possède sa personnalité et son style. Étalée sur plus de milles kilometres carrés, Angkor devait sa puissance au contrôle de l’eau et de l’irrigation de ses terres. Un réseau très sophistiqué de bassins et canaux permettaient une agriculture stable et maitrisée, et cela pour l’ensemble de la population malgré les periodes de sécheresse. Après la chute de l’empire Khmer, les vestiges de ces temps disparurent pour des siècles, engloutis par la jungle. La nature reprit ses droits sur ce qui fût le symbole de la grandeur de l’espèce humaine et il fallut attendre le XIXeme siècle pour que des explorateurs français redécouvrent les ruines des temples d’Angkor.
Déambuler entre ces pierres millénaires et contempler des fresques tant vénérées et pourtant si longtemps oubliées ne peut laisser personne indifférent. Le lieu raconte le rapport de force de l’Histoire de l’homme avec la Nature. Les arbres immenses dont les racines éventrent les murs nous rappellent que toute civilisation peut soudainement tomber dans l’oubli.
En plus de temples, voyager dans la région offre la possibilité de traverser de superbes rizières et des fermes de fleurs de lotus.
Un après-midi, nous nous rendîmes aussi par bateau jusqu’à un village de pêcheurs flottant au milieu du lac Tonlé Sap, la plus grande reserve d’eau douce d’Asie du Sud-Est. En naviguant entre les maisons, nous avons pu observer une vraie communauté avec sa salle des fêtes, ses magasins, son école et même son église!
Notre voyage se poursuivît plus au Sud jusqu’à Phnom Penh, la capitale du pays. Là-bas, nous y découvrîme une ville dynamique, alternant entre tradition et modernité. Ce fût aussi l’occasion pour nous de s’exposer à une facette bien plus sombre de l’Histoire du Camdodge. Au milieu des années 1970, la situation était dramatique. Les États-Unis ont largués sur ce petit pays plus de bombes que de tous les avions allemands et anglais réunis pendant la seconde guerre mondiale. Malgré cela, ils fûrent incapables de reprendre le dessus sur une situation devenue extremement embarassante sur la scène internationale. Suite à de nombreuses manipulations politique, le 17 avril 1975 le Khmer Rouge, movement communiste extremiste, prit possession de Phnom Penh. Initialement bien acceuilli par une population épuisée par la guerre, le nouveau pouvoir en place entraîna le pays dans une dictature d’une extrême violence et le Cambodge sombra dans la nuit. Obsédé par l’idée de faire renaître la grandeur de l’empire Khmer, le gouvernement coupa toute relation diplomatique pendant près de quatres ans et lança une campagne d’épuration culturelle et idéologique sans précédent. Au nom de l’éradication du capitalisme et de toute forme de colonialisme, près d’un quart de la population du pays mourut entre 1975 et 1979. Le quotidien des cambodgiens se résumait aux arrestations et exécutions sommaires, aux exils forcés, ainsi qu’à la destructions du patrimoire culturel considéré ”non conforme” aux valeurs Khmer. Un terrible génocide humain et culturel prît place hors des radars des pays étrangers. Mais l’horreur fût poussée à son comble lorsque l’on découvrît les pratiques de torture à grande échelle perpétrées par le régime de Pol Pot. Toute personne suspecte était arrêtée avec sa famille et torturée jusqu’à avouer des choses qui, pour beaucoup, n’avait pas commises. ”Couper une mauvaise herbe ne suffit pas, il faut la déraciner” disaient-ils; ainsi étaient exécuté vieillards, femmes, enfants et bébés.
Au cœur d’un petit quartier tranquille de Phnom Penh se trouve une ancienne école. La cour verdoyante est entourée de quatres batiments de trois étages. Pendant ces années noires, ce lieu devint l’élément clé d’un réseau de plusieurs milliers de prisons à travers le pays. En effet, la prison S-21 avait la spécificité d’être réservée aux prisonniers ”ultra-sensibles” ; ceux-ci comptaient intellectuels, docteurs, professeurs d’université, opposants actifs ou encore les membres du Khmer Rouge suspectés de haute trahison. Près de 17000 personnes perdirent la vie entre les murs de la prison S-21. Le lieu a maintenant été transformé en musée et classé au patrimoire mondial de l’humanité par l’UNESCO.
Un guide audio nous amèna au cœur de l’enfer. Nous traversâmes ces salles de classes transformés en cellules de torture sans nom. C’est avec un très grand soin que les tortionnaires documentaient méticuleusement leur travail : rapports écrits décrivant les séances de torture et les aveux obtenus, photographie, listes de noms… Des milliers de photos d’identité récupérées des archives du Mal sont maintenant exposées sur les murs. Les regards sont profonds et graves. On y voit des vieillards ou des femmes portant leurs bébés au bras. Certains arrivent tout de même à esquisser un sourire, dernier geste de liberté avant d’être réduit à rien…
Le sang glacé, nous avons parfois dû sortir prendre l’air au soleil dans la cour pour ne pas tourner de l’oeil. Les images sont terribles et les témoignages audios saisissants. Dans certaines salles, le carrelages est encore taché par les heures de supplice et les litres de sang.
Le patrimoine culturel du Cambodge est grandiose, horrible, susperbe, dramatique, majestueux, perturbant… Vous l’aurez compris: les adjectifs manquent pour exprimer les émotions ressenties pendant ce séjour de seulement 10 jours. Impossible aussi de ne pas faire de parallèles avec le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui: alors que les démocraties s’ébranlent et que les forces sombres des populismes grandissent partout, il est sage de se rappeler que les plus grands empires peuvent rapidement s’écrouler et que la joie et le rire des enfants peuvent soudainement être remplacés par la souffrance et l’horreur lorsque le pouvoir tombe entre de mauvaises mains.
Merci pour l’émotion de ce texte .
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The real world can be pretty sobering.
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